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LETTRE 61

LES ENIGMES DU TINTORET

 

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Le Tintoret est célèbre pour le mouvement qu'il donne à ses oeuvres , mais il aime  aussi réinterpréter les scènes bibliques, d'où l'existence de certaines énigmes . C’est ce qui éclate ici avec cette huile sur toile datée de 1555, mesurant 239 x 298 cm, et exposée à la Gallerie dell'Accademia de Venise.

Avant de lui donner un nom, essayons d’abord une analyse de la composition. Au premier coup d’œil on lui trouve une certaine centralité, la ligne d’horizon est au milieu le long d’une nappe blanche qui recouvre une table, sans doute un autel. Pour la verticale, le centre est occupé par une femme habillée de rouge et qui se penche très en avant avec l’enfant qu’elle tient dans ses bras, au risque d’être déstabilisée.

A gauche on voit plusieurs personnages qui semblent enchevêtrés du fait du jeu des plans. Sous la table on aperçoit une foule dont se dégagent deux femmes dont l’une tient un enfant et un vieillard, leurs tailles les situent dans un plan plus éloigné que la table, qui devient une sorte de fenêtre.

Dans le plan moyen de la table-autel on trouve deux vieillards dont l’un porte une sorte de mitre, ils parlent et regardent la jeune mère qui est penchée vers eux, mais un homme plus jeune vu de côté, tend le bras vers la table-autel. Il est dans le prolongement vertical d’un autre homme, vu de dos qui tient un cierge et est à genoux sur les marches qui mènent à la table-autelet. Marches sur lesquelles se trouve aussi un vieillard accroupi que l’on voit de face et qui tient un panier.

 

A droite on trouve aussi trois plans mais qui ne correspondent pas vraiment à ceux de gauche. Sur le plus proche une femme porte un enfant, elle descend en se déhanchant,  les marches et regarde la scène qu’elle vient de quitter. Derrière elle on distingue plusieurs hommes, l’un s’incline tandis qu’un vieillard regarde vers le haut, leurs tailles les situent dans un plan plus proche que celui où se trouvent les personnes sous la table.

Enfin le dernier plan est occupé par le décor architectural du lieu dans lequel se déroule la scène, il s’agit d’un bâtiment circulaire dont la surface de pierre s’incurve vers la gauche pour passer derrière les personnages. Cette surface est rythmée par une alternance de pilastres, de petits bas-reliefs sculptés, et de statues dans des niches, dont la plus visible montre une femme debout, au regard droit.

La lumière est irrégulière et descend du haut, sans doute de la voute qui est suggérée par le mouvement circulaire du fond. La lumière tombe surtout sur la partie centrale, sur la jeune femme penchée en avant, la nappe et les trois personnages qui semblent être sous la table, mais qui sont en réalité derrière elle. Les couleurs sont assez vives : rouge, bleu, noir, orangé et les blancs sont mordorés par la lumière.


Avant de comprendre cette scène il faut bien voir le mouvement qui la caractérise, celui d’une succession d’actions semblables. La jeune mère au premier plan à droite, descend les marches après avoir accompli ce pourquoi elle est venue, elle est remplacée par la seconde mère au centre qui se penche vers les vieillards, et une troisième attend son tour en arrière et en bas, c’est pourquoi elle nous semble être sous la table. D’autres mères apparaissent  au fond derrière elle. Ainsi le peintre construit une scène à plusieurs temps, chacun correspondant à la montée d’une mère au niveau de l’autel, à la présentation de son enfant puis à sa descente et sa sortie.


 La mère qui est au centre est Marie tenant l’enfant Jésus, on devine une auréole sur leurs têtes, elle se penche vers les vieillards comme si elle voulait leur donner l’enfant. Posées sur l’autel on voit la tête de deux colombes, qu’elle vient de déposer en offrande, il s’agit donc bien de la Présentation de Jésus au Temple mais avec tant d’originalité et de décalages que l’on ne comprend pas de suite. «Quand arriva le jour fixé par la loi de Moïse pour la purification, les parents de Jésus le portèrent à Jérusalem pour le présenter au Seigneur, selon ce qui est écrit dans la Loi: Tout premier-né de sexe masculin sera consacré au Seigneur. Ils venaient aussi présenter en offrande le sacrifice prescrit par la loi du Seigneur: un couple de tourterelles ou deux petites colombes. » Luc 2

Marie présente Jésus au prêtre du Temple de Jérusalem qui porte une sorte de mitre, comme il est convenu dans la peinture occidentale. Elle lui parle et le prêtre lui répond ainsi que son assistant âgé, alors que le plus jeune ne fait que tendre le bras.

Mais où est Joseph ? Il n'est pas au niveau de l’autel, sans doute est-ce l’homme de dos et à genoux, il porte un cierge qui répond à celui qui est posé sur l’autel. Nous retrouvons donc l’essentiel de la scène biblique par ses rites, ses paroles mais pourquoi ce mouvement tournant des mères passant devant l’autel ? Pour rappeler que Jésus et ses parents sont de bons juifs comme les autres, ils suivent une prescription religieuse, comme leurs voisins, et c’est dans cette simplicité, voire cette banalité que Dieu se révèle.

Mais le texte de Luc est célèbre par la présence et les paroles de Siméon : « Or, il y avait à Jérusalem un homme appelé Siméon. C’était un homme juste et religieux, qui attendait la Consolation d’Israël, et l’Esprit Saint était sur lui ». Siméon n’est pas prêtre, il n’est donc pas celui qui officie à l’autel. Peut être est-ce le vieillard qui est au second plan à droite et qui regarde le ciel comme s’il rendait grâce.  Je crois que Siméon est absent et nous verrons à la fin qu’il y a une raison.


 Par contre un personnage étrange se trouve sur les marches de l’autel, une sorte de mendiant qui réfléchit sombrement et semble extérieur à la scène. J’ai pensé un moment que ce pouvait être Siméon, mais un détail lui donne une autre fonction, il tient un panier dont on voit sortir une tête d’oiseau. C’est donc le marchand de colombes qui fournit les parents, et Joseph ou Marie ont dû passer par lui pour leurs achats. Un marchand et dans l’évangile selon Jean au chapitre 2 lors de la scène des marchands du temple, il est écrit : « il jeta par terre la monnaie des changeurs, renversa leurs comptoirs et dit aux marchands de colombes : « Enlevez cela d’ici. Cessez de faire de la maison de mon Père une maison de commerce. » On imagine mal le Christ chasser ce pauvre marchand.

Mais il faut noter que ce marchand ne compte pas ses pièces mais regarde un petit tonneau placé sur la marche et qui est sans doute le récipient, la tirelire, où les parents déposent les piécettes pour les oiseaux, et cette tirelire est placée à la verticale de l’enfant Jésus et de Marie. Le livre du Lévitique précise bien que lorsque la femme « est incapable de trouver la somme nécessaire pour une tête de petit bétail, elle prendra deux tourterelles ou deux pigeons, l'un pour l'holocauste et l'autre en sacrifice pour le péché. Le prêtre fera sur elle le rite d'expiation et elle sera purifiée ». Mettre le petit tonneau sous Marie n’est donc pas indifférent, la somme déposée est pour le péché, de celle qui est l’Immaculée, celle pour l’holocauste renvoie directement à la divinité de l’Enfant ! ? Le message religieux au lieu de passer par le cantique de Siméon passerait donc en partie par le pauvre homme qui par son service permet à chacun de reprendre le chant de Siméon : « mes yeux ont vu ton salut, salut que tu as préparé devant tous les peuples, lumière pour éclairer les nations, et gloire d'Israël, ton peuple ». Cette énigme reste ouverte.

Mais il en reste une dernière, et de taille. La scène est censée se passer au temple de Jérusalem, temple revu et modifié assez librement par les peintres, mais il est impossible d’y faire figurer comme ici des statues, cela le rendrait païen. Nous sommes donc amenés à voir plutôt une église catholique que le Temple, et la statue dans sa niche ressemble fort à celle de la Vierge ou d’une sainte chrétienne. Il nous faut faire soudain un saut à travers les siècles, pour rejoindre la Venise du 16e.

Il existait autrefois une coutume, qui perdure encore dans certaines paroisses, le jour de la fête de la Présentation au temple, le 2 février, le prêtre bénit les petits enfants et les chandelles qui vont servir pour la procession de la « chandeleur ». N’est-ce pas cela que le peintre représente ? La suite des jeunes mères qui marchent, montent et descendent, hier à Jérusalem, aujourd’hui à Venise, pour demander à un évêque, bien coiffé de sa mitre, de bénir leurs enfants et les chandelles dont elles garderont. L’absence de Siméon s’explique aussi par cette transposition qu’il ne peut partager.

A Maguelonel a messe de la Chandeleur est destinée à bénir les jeunes enfants

Ainsi Le Tintoret représente une scène tirée de l’évangile de Luc et il la montre toujours vivante pour les fidèles de sa ville. Quelle belle appropriation. Quel beau mouvement à la fois physique et temporel.

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