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LETTRE 46

Si vous ne voyez pas les images, cela est dû à votre protection, vous pouvez les voir en allant sur Archives

Ce tableau vient d’être acheté par les Amis du Louvre pour en faire don au musée.

Le baron Antoine-Jean Gros (1771-1835), David jouant de la harpe pour le roi Saül, 1822, huile sur toile, 184 x 227 cm .

Cette belle femme est Mikal, la fille du roi Saül. Nous l’avons rencontrée dans la précédente Lettre, où elle protestait contre son époux David, qu’elle accusait de se montrer nu lorsqu’il dansait pour Dieu. Aujourd’hui nous remontons le temps et retrouvons Mikal qui vient d’épouser David,      « qu’elle aimait », Ce mariage entre un berger et une fille de roi a été voulu par Saül pour piéger David. Le roi est jaloux du tueur de Goliath, et il essaie de le tuer ou de le faire tuer plusieurs fois. C’est ainsi qu’il lui promet sa fille « sans dot », mais à condition qu’il lui rapporte cent prépuces de Philistins, pensant qu’il sera tué au combat ! mais David est à nouveau victorieux, et mariage il y a. ( voir le 1er livre de Samuel ch. 18)

Dans une salle soutenue par des colonnes gigantesques, le roi Saül, drapé dans la pourpre, a laissé sur le côté ses armes et sa couronne, mais il garde sous lui, la lance dont il déjà menacé David. Il est complètement enfermé sur lui-même, le regard vide, l’œil sombre, non seulement la jalousie le ronge mais il est aussi malade, dépressif ou neurasthénique.

 A l’inverse David rayonne de beauté et de jeunesse, on le reconnaît facilement avec sa houlette et sa fronde. Il joue de la harpe pour essayer de guérir ou simplement calmer le roi.

Entre les deux hommes, la belle Mikal descend pour rejoindre son père, les bras ouverts en signe de surprise et de compassion, elle fait le lien entre le monde doré et lumineux de David et celui sombre et lourd de Saül. Sa tête suit une belle diagonale qui unit les trois visages, tandis que ses bras nus sont parallèles à ceux de David.

 Ce mouvement met en relief la harpe qui joue un grand rôle dans la composition. David en joue avec maîtrise, Mikal semble l’accompagner, et Saül qui entend la musique, place ses mains comme s’il voulait lui aussi en jouer, comme s’il voulait égaler David.  Belle représentation de la jalousie du roi, elle remonte à la victoire de David sur Goliath, et le peintre nous le rappelle avec la fronde portée par le jeune homme, mais  l’artiste étend cette jalousie à la musique que David maîtrise si bien, Saül fait le geste et révèle son impuissance.

 Ceci dit d’autres éléments posent question.

Derrière David on aperçoit au moins trois hommes qui regardent vers le premier plan ainsi qu’une servante qui ouvre la tenture pour le passage de Mikal. Que font tous ces gens ? Mikal porte un grand voile blanc qui partant de sa coiffure, descend et enveloppe sa silhouette. Ce voile existe-t-il comme tissu, ou n’est il qu’un artifice pictural pour souligner la silhouette de la jeune femme dont le vêtement est trop sombre ?

Mais allons plus loin et je suggère un scénario un peu fou .

Et si tous ces gens assistaient au mariage de Mikal et David ? un mariage boudé par Saül ? Mais dans ce cas pourquoi David aurait-il quitté la fête pour jouer de la harpe pour son beau père ? En fait le mouvement de la tenture explique tout.

Au fond la fête bat son plein, David chante et joue sur une harpe très grande et peu transportable. Soudain tous entendent le cri d’un homme malheureux et furieux, celui du roi. Sa fille le reconnaît et elle se précipite pour rejoindre son père, la servante tire la tenture qui l’en sépare, et David qui jouait pour ses amis de la salle, se retourne et joue maintenant pour calmer le roi, sans comprendre que cela le rend encore plus jaloux.

Le baron Gros a montré dans ses œuvres antérieures que les gestes de ses personnages étaient porteurs d’interprétations et de symboles (voir les Pestiférés de Jaffa).

La composition est superbe, et le baron Gros retrouve dans cette peinture tardive les qualités de coloristes et de mise en scène de ses œuvres impériales.

 On peut avoir une image de plus grandes dimensions sur

http://www.sothebys.com/fr/auctions/ecatalogue/2018/collection-pierre-berge-pf1860/lot.84.html

Les dessins préparatoires ci-dessous montrent que la scène a évolué et que Mikal est bien suivie d’une compagne. 

Antoine Jean (Baron Gros) Gros (French, 1771–1835) Etude pour David jouant de la harpe pour le roi Saül (recto et verso) pencil 16.3 x 22.2 cm. (6.4 x 8.7 in.

La scène de David jouant pour le roi Saül a été souvent représentée, mais la présence de Mikal est plus rare sauf au 19e s.

Voici quelques images

PRETI, Mattia, David Playing the Harp before Saul, ,c. 1670, Oil on canvas, 209 x 302 cm Private collection
La scène est très différente puisque le roi n’est pas malade, Mikal est peut être la femme de droite.

Philippe Chery , 1808, Musée de Soissons
Mise en scène très néo-classique, David semble passer un examen, Mikal s’occupe de son père pour le convaincre ?

Henri-Frederic Schopin , David jouant de la harpe pour le roi Saül , huile sur toile, 44x42 cm

 Le peintre (1804-1880) né en Allemagne fut l'élève de Gros. Prix de Rome en 1831, il débute au Salon de 1835 . Le peintre est orientaliste mais préfère ici un historicisme particulièrement froid. La présence de deux jeunes filles s’explique parle fait que Mikal avait une sœur aînée, d’abord choisie par Saül.

Peinture de Ivan Petrovich Keler Viliandi huile sur toile, 1854. Art russe 19e siecle. State Art Gallery, Perm

Même contexte pour une scène pseudo romantique

Nikolai Mikhailovich Plyusnin (1848—1920) David Playing the Harp to Saul, 1873, oil on canvas, Ekaterinenburg
Cette fois Saül est bien malade et Mikal charmée par la musique de David, raide comme une statue

Et pour en finir avec la médiocrité, je vous propose un Rembrandt qui vient d'être authentifié et qui montre Saül et David chacun dans leur univers, mais Mikal est absente

Rembrandt,  1655 ,  huile sur toile, 130x164, Mauritius La Haye

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