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LETTRE 22

NICOLAS POUSSIN

Le printemps 2015 a été marqué par une très belle exposition du Louvre intitulée «Poussin et Dieu», la question du contenu chrétien de sa peinture étant assez discutée.

Je vous propose un regard sur un tableau du Louvre, La récolte de la manne, 1637-39 ; huile sur toile, 150 x 200 cm

Le regard embrasse la scène dans son ensemble mais on y voit aussi des personnages nombreux qui forment des groupes en action. A gauche un homme debout observe une (sa ?) femme qui allaite sa vieille mère et fait attendre son enfant. Au centre un jeune homme montre quelque chose à un vieillard. A droite des hommes et des femmes sont debout, ou à genoux, ils récoltent de la nourriture qui semble tombée du ciel vers lequel certains regardent. Une femme interrompt sa récolte pour désigner des jeunes qui se battent pour cette nourriture, au lieu de la ramasser. Au centre du second plan deux vieillards sont entourés par de nombreuses personnes qui s'inclinent devant eux et les remercient, mais celui de gauche montre le ciel pour montrer que c'est Dieu qu'il faut remercier. Tout au fond à l’arrière plan on voit un campement très peuplé, des arbres et surtout un grand rocher percé comme par une porte qui s’ouvre sur un pays lumineux. En haut le ciel est bleu et gris, la nuit s’efface peu à peu devant la lumière du jour.

Nicolas Poussin (1594-1665) représente un moment de l’exode des Hébreux. Dieu les a libérés d’Egypte, mais maintenant qu’ils sont dans le désert, ils souffrent de la faim et regrettent l’Egypte. Moïse intercède auprès de Dieu, qui leur envoie des cailles le soir et « le matin il y eut une couche de rosée autour du camp. Une fois cette rosée dissipée, il y avait à la surface du désert quelque chose de petit comme des grains, quelque chose de fin comme la gelée blanche sur la terre… C'est le pain que le Seigneur vous donne pour nourriture leur dit Moïse» Livre de l’Exode, 16, 13-15

Finalement ce qui frappe c’est le peu de place laissée à la manne que l’on voit mal, alors que chez d’autres artistes elle est bien visible, car elle est une préfiguration des hosties de la messe. Quant à Moïse s’il est bien présent avec son frère Aaron, aucune manifestation céleste ne les accompagne, le ciel est vide.

Le vrai sujet n’est donc pas vraiment le miracle, mais les réactions humaines qu’il provoque. Les groupes du 1er plan sont mis en relation par les gestes des personnages et la lumière qui se porte sur chacun d’eux. On passe de la famille de gauche qui subit la famine, à l’espoir que traduit le bras du jeune homme montrant la manne au vieillard, puis à la récolte de cette nourriture par la famille de droite, mais la mère montre aussi que cela entraîne des disputes violentes.

Cette mise en scène montre que pour Poussin le miracle ne résout pas tout, que face à lui les hommes gardent leurs passions et se comportent différemment faisant le bien ou en mal comme avant le miracle. Cela est tout à fait conforme à l’enseignement biblique où les bienfaits de Dieu, ne transforment que raremant  le coeur des hommes.

C’est ainsi la liberté des personnes qui est affirmée, à une époque où Descartes développe l’idée du libre arbitre. Nous sommes aussi dans le temps de la querelle janséniste, qui minore la liberté humaine, tandis qu'au théâtre le grand Corneille la met vigoureusement en scène. C’est d’ailleurs à une scène de théâtre que ressemble ce tableau, une scène bien ordonnée selon le modèle classique des trois unités, un lieu, un temps et une action, avec un mouvement clair de gauche à droite, une symétrie des masses et des couleurs. Mais une scène où les actions, les sentiments individuels s’expriment fortement mais toujours dans la mesure des gestes et des attitudes.

Une belle œuvre classique dont le sujet religieux est prétexte à l'étude du comportement humain. 

Serge Ceruti

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